| Comment as-tu commencé à t’intéresser à la composition musicale ? |
| La première chose que j’ai faite a été de décider qu’écrire de la musique était la chose la plus amusante qu’on puisse faire. Alors j’ai juste commencé à le faire. |
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| As-tu utilisé des manuels ? |
| J’étais, en général, intéressé par l’art et je savais dessiner depuis mon enfance. Alors, j’ai vu une partition et j’ai dessiné une partition. Je n’avais la moindre idée de comment elle sonnerait ou de ce qu’elle représentait, mais je savais à quoi ressemblait une croche - je ne savais pas que c’était une croche. J’ai commencé à dessiner de la musique, c’est ce qui s’est passé. J’ai cherché et j’ai trouvé quelqu’un pour la pianoter, pour entendre comment elle sonnait. Et je me suis dit : « Eh bien, c’est si simple ? Tu fais un dessin et quelqu’un le joue pour toi. C’est génial ». C’est comme ça que j’ai commencé. |
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| Quels compositeurs t’ont influencé ? |
| Varèse, Stravinski, Webern, principalement. Et Penderecki. |
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| Pas des compositeurs de jazz ? |
| Ouais. Charlie Mingus, Thelonious Monk. |
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| Quand tu étais jeune, quel genre de musique écoutais-tu ? |
| De rhythm & blues. |
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| Erik Satie, dans ses compositions, utilisait beaucoup d’humour et beaucoup de plaisanteries, de petits commentaires verbaux dans sa musique. Il faisait ça pour se défendre, à cause de son manque d’estime de soi, et je me demandais si tu… |
| L’as-tu lu dans un livre ? |
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| Oui, c’est ça. |
| Enfin, je n’ai jamais lu ça et je ne sais rien de la vie de Satie, mais je ne dirais pas avec certitude que c’est la raison pour laquelle il a utilisé de l’humour dans sa musique. Il y a eu d’autres compositeurs qui ont utilisé de l’humour dans leur musique, de différentes manières, et je n’adhère vraiment pas à l’idée du mécanisme de défense. En fait, la chose la plus courageuse qu’on puisse faire est de faire quelque chose d’humoristique pour un public qui ne tient pas compte de l’humour. Tu prends un public de musique classique : c’est un excellent exemple. Il n’y a que trois choses avec moins d’humour qu’un public classique : un public de country & western, un public de rock & roll et un public de jazz. |
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| Quel public penses-tu attirer le plus ? |
| Je ne sais pas, il est plutôt large en termes d’âge ou autre. |
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| Penses-tu qu’en tant que compositeur ça t’aurait apporté d’avantage d’étudier sous la direction de quelqu’un ? |
Nein.
| Non. |
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| Est-il légitime de te définir comme complètement autodidacte ? |
| Eh bien, je vais te dire exactement ce que j’ai fait pour apprendre mon métier. Je suis allé à la bibliothèque et j’ai écouté des disques. À l’école j’avais reçu quelques notions de base d’harmonie et de théorie, mais j’en ai rejeté la plupart parce qu’étaient ennuyeuses et inutiles pour ce que je voulais écouter. Parce que, tout d’abord, les quintes parallèles sont ce que j’aime le plus dans la musique diatonique, elles sont l’un de mes sons préférés. |
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| Désagréable. |
| C’est vrai, c’est un son désagréable. « Il ne faut pas les faire ». Alors j’ai pensé que quiconque me disait que je ne pouvais pas faire ce que j’aimais n’était pas de mon côté. |
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| Que penses-tu du système d’éducation musicale actuel ? |
| Je pense qu’il est destiné à produire des gens qui ne savent rien de la musique. |
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| As-tu des idées pour l’améliorer ? |
| La première chose à dire est que la plupart des musicologues sous-estiment les performances en direct et surestiment le style académique. Je pense que c’est une erreur. Tout le monde devrait pouvoir jouer quelque chose, ressentir la joie de jouer d’un instrument et réaliser ce que signifie faire de la musique, pas seulement des parties assignées. Les gens devraient avoir la possibilité d’improviser et de voir ce que ça fait d’inventer quelque chose. Juste là, au pied levé. |
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| Tu utilises beaucoup l’unisson dans ta musique ; travailles-tu avec une base et improvises-tu dessus ? |
| Eh bien, les chansons sont structurées de telle manière qu’il y a des facteurs unificateurs et des solos individuels, et dans certains cas, il y a des espaces entières vides que je vais combler sur scène. Et il se peut qu’au cours d’une soirée je devienne fou et m’invente quelque chose là sur-le-champ. |
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| Tu as ouvert la voie à la combinaison du jazz, du rock et de la musique « sérieuse »… |
| Ce n’est qu’une extension logique de la façon dont tout est. Si tu regardes bien, tout est composé des mêmes choses et je ne parle pas d’atomes. Il n’y a aucune raison pour que la musique ne contienne n’importe quel élément que tu veux écouter en tant que compositeur. Ce que je mets ensemble est construit en fonction de mes propres goûts. Si d’autres aiment la façon dont je le cuisine, alors eux aussi, ils peuvent le manger. |
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| Tu as travaillé un peu avec des orchestres symphoniques ; as-tu été satisfait de la façon dont ils ont réagi ? |
| Eh bien, individuellement, il y a des gens dans les orchestres qui s’ennuient ou qui sont mal disposés envers ce que je fais. Mais, selon l’orchestre et les conditions, la plupart du temps on s’entend bien. Musicalement, je n’ai pas aimé beaucoup les résultats parce que la différence entre un groupe et un orchestre est la suivante : un groupe avec, disons-nous, huit ou neuf membres, avec leur attention ou leur intérêt à faire leur propre musique spécifique, poussés vers un objectif, est différent d’un orchestre comprenant une centaine de personnes qui sont payées pour faire leur boulot et qui se présentent tout comme des plombiers. C’est une conscience très différente, et il est difficile de les amener à mettre leur énergie personnelle dans ce qu’ils jouent, contrairement à ce qui est possible avec les membres d’un groupe. |
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| Dans un orchestre, il y a aussi sans aucun doute des gens sincèrement impliqués dans la musique… |
| C’est vrai, mais je parle du résultat net du groupe. Il est très rare, surtout aux États-Unis, de trouver un orchestre dont la motivation principale est de se donner à fond dans les performances et de laisser le public abasourdi, parce qu’ils sont tous inquiets de leurs pauses syndicales. Ils sont inquiets des nouvelles réglementations qui affecteront leurs revenus et de toutes ces autres conneries. Je ne dis pas que ça ne se passe pas aussi dans le rock & roll, mais les musiciens d’orchestre ne sont pas aussi impliqués qu’un groupe de rock. |
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| Quelle partie de la musique que tu as écrite a été enregistrée ? |
| Environ 80 %. |
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| Le reste du matériel n’a pas été enregistré parce que tu penses qu’il n’a pas de marché ou parce que tu crains que les gens ne le comprennent pas ? |
| Non, je n’ai jamais craint que les gens ne le comprennent pas parce que je le prends comme une donnée de fait. Il y a toujours cette possibilité. Mais ce qui m’empêche d’enregistrer quoi que ce soit, c’est le coût. |
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| Tu as fait deux albums, « Le Grand Wazoo » et « Waka/Jawaka », avec un grand ensemble de jazz ; penses-tu avoir les mêmes problèmes en studio avec les musiciens de jazz qu’avec les musiciens d’orchestre ? |
| Non. Ce sont des races différentes de musiciens. Ils n’étaient pas encore au niveau d’un groupe de rock, mais n’étaient pas aussi rigides que les musiciens symphoniques. |
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| Comment penses-tu que ta musique a influencé la musique d’aujourd’hui dans son ensemble ? |
| Eh bien, si je fais quelque chose qui semble intéressant pour d’autres groupes ou d’autres musiciens et qu’ils l’empruntent ou l’extrapolent, alors c’est ainsi que mon influence s’exerce. |
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| As-tu déjà pensé à enseigner ? |
| Non. Pas vraiment. Il est déjà difficile d’enseigner aux membres du groupe à jouer ces choses, sans parler de donner des cours. |
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| Qu’en dis-tu des répétitions ? Vous devez en faire beaucoup. |
| Nous répétons trois semaines avant chaque tournée. Cinq heures par jour, cinq jours par semaine. Le technicien mixeur participe aux répétitions avec le groupe, et la dernière semaine des répétitions arrive aussi le technicien lumière. De plus, chaque jour où nous jouons un concert, nous répétons trois heures avant le concert. |
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| As-tu rencontré des problèmes de persistance ? |
| Ouais, nous avons quelques problèmes de persistance, mais uniquement quand un membre aime trop faire la fête. Et ceux qui font trop la fête ne sont plus partie du groupe. |
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| Ça arrive-t-il très souvent ? |
| Non. Je n’ai dû virer quelqu’un que deux fois. Il avait foiré. |
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| Quand tu as dissous les premiers Mothers, le groupe de « Absolument Libre » et de ce qui a suivi, tu as dit que le public n’était pas prêt pour ta musique. Penses-tu que le public a mûri depuis ? |
Ja.
| Oui. |
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| À quoi l’attribues-tu ? |
| À la diffusion de certaines des techniques dont nous avons été les pionniers. Et comme les gens continuent à les écouter à partir des sources les plus diverses, alors ils pourraient penser : « Eh bien, peut-être que Zappa avait raison quand il faisait ça ». |
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| Penses-tu que le jazz et le rock sont devenus plus complexes en raison de l’influence de la musique classique ? |
| Non. Je pense que le jazz et le rock sont devenus plus complexes en raison de l’influence du jazz et du rock. Je ne pense pas que, dans les deux domaines, il y ait beaucoup de gens qui sont vraiment attentifs à la musique, pour ainsi dire, sérieuse. En fait, de nos jours, une des choses les plus malades dans le monde musical est la musique sérieuse. Contemporaine. Je ne parle pas du début du XXe siècle. Je parle des compositeurs contemporains. Ils ne font que de la merde. C’est déconcertant. |
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| Qu’est-ce qui te dérange particulièrement chez les compositeurs contemporains ? |
| C’est la génération post-Webern. Les compositeurs post-Penderecki. Ils essayent tous de sauter dans le train en marche, tu sais. Les gens se sont intéressés à Webern et tout le monde a commencé à écrire des conneries bip-bop. Tu sais, les espaces entre les notes, la sérialisation des pauses dans les pièces et tous ces trucs. Les seuls qui pourraient vraiment aimer tout ça sont les programmeurs informatiques, qui n’ont certainement pas l’oreille pour ce genre de choses. Et, en plus, Webern l’a parfaitement fait, il n’y a donc aucune raison pour que tout le monde essaye d’y élucubrer comme ça. Quand Penderecki est arrivé avec ses clusters denses, ses effets de cordes et tout ça, de nombreux autres compositeurs ont commencé à faire la même chose. C’est comme des vêtements « à la dernière mode » ou un truc comme ça ; trop de gens s’intéressent au modernisme superficiel des sons sans mettre aucun contenu réel dans leurs pièces. Elles n’ont pas de vie. Je vais toujours acheter de la musique contemporaine, j’achète principalement ce type d’album. Et, invariablement, je suis déçu par les pièces et par tous les nouveaux émergents. Et surtout par la musique électronique. Elle est si… terne. |
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| Y a-t-il quelqu’un dans la musique électronique que tu apprécies ? Stockhausen ? Subotnik ? |
| Je n’aime pas la musique électronique de Stockhausen. Je n’aime pas du tout Subotnik. Il y a une pièce de Stockhausen que j’aimais : j’ai un album avec ♫ « Chant des enfants dans la fournaise ardente » d’un côté et ♫ « Contact » de l’autre. Il est assez bon. La plupart du reste… n’est pas musicale. Et je ne suis pas maniaque de maths, donc je ne me mets pas là à… Il y a un autre compositeur dont les choses j’aime, avec quelques réserves, et c’est Milton Babbitt. |
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| Pour en revenir à ton orientation musicale : ton dernier album, « Succès Fulgurant », m’a frappé d’une manière très différente des autres albums que tu as faits. Comparé à ses prédécesseurs plus orientés vers le jazz, il s’est imposé davantage dans les fans du Top 40. Je me demandais si tu en étais conscient quand tu as fait cet album. |
| Non. C’est ce que j’avais envie de faire. Les gens commettent l’erreur de penser que si quelqu’un fait un album, ce qu’il y a là-dedans, à l’intérieur de sa pochette, représente la somme totale de tout ce qu’il peut concevoir musicalement. Mais chacun de nos albums est différent. Donc il y a là ce qui m’intéressait à ce moment-là ; j’ai fait un album intitulé « Succès Fulgurant » et c’est tout. Rien de plus, mes amis. |
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| Peux-tu commenter ton prochain album ? |
| Il s’appelle « Apostrophe (’) ». Il a une pièce instrumentale, et le reste est chanté. Il y a des choses qui sont, en quelque sorte, blues, et je chante tout moi-même. Certains morceaux sont avec ce groupe et d’autres avec d’autres musiciens : Jack Bruce, Jim Gordon, Aynsley Dunbar, Johnny Guerin… |
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| Y a-t-il un projet dans cette période auquel tu consacres la plupart de ton énergie ? |
| Ouais, le groupe. Parce que je pense que ce groupe, une fois qu’ils se seront façonnés et qu’ils auront appris à jouer tout ce matériel, sera un excellent vecteur pour la musique future. Ils ont beaucoup de talent. Sur ce matériel ils sont encore incertains. On dirait qu’ils sont cohésifs, mais ce n’est pas le cas. Et quand ils le seront, ils vous effrayeront à mort. |
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| Dans les futures histoires de la musique, il y aura sans aucun doute une mention de toi et de ton travail. Comment penses-tu que tu seras considéré ? |
| Je doute qu’ils me traiteront très au sérieux dans ces livres considérant qu’après tout, ils doivent faire marcher le système. S’ils ne le faisaient pas, diable, vous ne deviendriez pas de consommateurs, n’est-ce pas ? |